LE MANDARIN. — Vous le savez mieux que moi.
Ou bien ces erreurs révoltent un esprit assez juste
pour les sentir, et non assez sage pour chercher la
vérité ailleurs, ou bien ces erreurs entrent dans un
esprit faible qui les reçoit avidement. Dans le premier
cas, elles conduisent souvent à l’athéisme ; on
dit : Mon bonze m’a trompé ; donc il n’y a point de
religion, donc il n’y a point de Dieu, donc je dois être
injuste si je puis l’être impunément. Dans le second
cas, ces erreurs entraînent au plus affreux fanatisme ;
on dit : Mon bonze m’a prêché que tous ceux
qui n’ont point donné de robe neuve à la pagode
sont les ennemis de Dieu ; qu’on peut, en sûreté de
conscience, égorger tous ceux qui disent que cette
pagode n’a qu’une tête, tandis que mon bonze jure
qu’elle en a sept. Ainsi je peux assassiner, dans l’occasion,
mes amis, mes parents, mon roi, pour faire
mon salut.
LE JÉSUITE. — Il me semble que vous vouliez
parler de nos moines sous le nom de bonzes. Vous
auriez grand tort ; ne seriez-vous pas un peu malin ?
LE MANDARIN. — Je suis juste, je suis vrai, je
suis humain. Je n’ai acception de personne ; je vous
dis que les particuliers et les hommes publics commettent
souvent sans remords les plus abominables
injustices, parce que la religion qu’on leur prêche,
et qu’on altère, leur semble absurde. Je vous dis
qu’un raïa de l’Inde, qui ne connaît que sa pres-