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dialogues philosophiques


LE JÉSUITE. — Quoi ! ne jamais tromper ! Mais dans votre gouvernement, dans votre doctrine des lettrés, dans vos cérémonies et vos rites, n’entre-t-il rien qui fascine les yeux du peuple pour le rendre plus soumis et plus heureux ? Vos lettrés se passeraient-ils d’erreurs utiles ?


LE MANDARIN. — Depuis près de cinq mille ans que nous avons des annales fidèles de notre empire, nous n’avons pas un seul exemple parmi les lettrés des saintes fourberies dont vous parlez ; c’est de tout temps, il est vrai, le partage des bonzes et du peuple ; mais nous n’avons ni la même langue, ni la même écriture, ni la même religion que le peuple. Nous avons adoré dans tous les siècles un seul Dieu, créateur de l’univers, juge des hommes, rémunérateur de la vertu, et vengeur du crime dans cette vie et dans la vie à venir.

Ces dogmes purs nous ont paru dictés par la raison universelle. Notre empereur présente au Souverain de tous les êtres les premiers fruits de la terre ; nous l’accompagnons dans ces cérémonies simples et augustes : nous joignons nos prières aux siennes. Notre sacerdoce est la magistrature ; notre religion est la justice ; nos dogmes sont l’adoration, la reconnaissance et le repentir : il n’y a rien là dont on puisse abuser ; point de métaphysique obscure qui divise les esprits, point de sujet de querelles ; nul prétexte d’opposer l’autel au trône ; nulle superstition qui indigne les sages : aucun mystère qui en-