Page:Voltaire Dialogues philosophiques.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
dialogues philosophiques


FRÈRE RIGOLET. — S’il est mort, sacrée majesté, je vous en réponds, et cela pour nous faire plaisir. Il déguisa si bien sa divinité qu’il se laissa fouetter et pendre malgré ses miracles ; mais aussi il ressuscita deux jours après sans que personne le vît, et s’en retourna au ciel, après avoir solennellement promis « qu’il reviendrait incessamment dans une nuée, avec une grande puissance et une grande majesté, » comme le dit, dans son vingt et unième chapitre, Luc, le plus savant historien qui ait jamais été. Le malheur est qu’il ne revint point.


L’EMPEREUR. — Viens, frère Rigolet, que je t’embrasse ; va, tu ne feras jamais de révolution dans mon empire. Ta religion est charmante ; tu épanouiras la rate de tous mes sujets ; mais il faut que tu me dises tout. Voilà ton dieu né, fessé, pendu et enterré. Avant lui, n’en avais-tu pas un autre ?


FRÈRE RIGOLET. — Oui, vraiment, il y en avait un dans le même petit pays, qui s’appelait le Seigneur, tout court. Celui-là ne se laissait pas pendre comme l’autre ; c’était un Dieu à qui il ne fallait pas se jouer : il s’avisa de prendre sous sa protection une horde de voleurs et de meurtriers, en faveur de laquelle il égorgea, un beau matin, tous les bestiaux et tous les fils aînés des familles d’Égypte. Après quoi il ordonna expressément à son cher peuple de voler tout ce qu’ils trouveraient sous leurs mains, et de s’enfuir sans combattre, attendu qu’il