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dialogues philosophiques

dans l’histoire de ces bons mahométans qui m’a beaucoup frappée. Assan, fils d’Ali, étant au bain, un de ses esclaves lui jeta par mégarde une chaudière d’eau bouillante sur le corps. Les domestiques d’Assan voulurent empaler le coupable. Assan, au lieu de le faire empaler, lui fit donner vingt pièces d’or. « Il y a, dit-il, un degré de gloire dans le paradis pour ceux qui paient les services, un plus grand pour ceux qui pardonnent le mal, et un plus grand encore pour ceux qui récompensent le mal involontaire. » Comment trouvez-vous cette action et ce discours ?


LE COMTE. — Je reconnais là mes bons musulmans du premier siècle.


L’ABBÉ. — Et moi, mes bons chrétiens.


M. FRÉRET. — Et moi, je suis fâché qu’Assan l’échaudé, fils d’Ali, ait donné vingt pièces d’or pour avoir de la gloire en paradis. Je n’aime point les belles actions intéressées. J’aurais voulu qu’Assan eût été assez vertueux et assez humain pour consoler le désespoir de l’esclave, sans songer à être placé dans le paradis au troisième degré.


LA COMTESSE. — Allons prendre du café. J’imagine que, si à tous les dîners de Paris, de Vienne, de Madrid, de Lisbonne, de Rome et de Moscou, on avait des conversations aussi instructives, le monde n’en irait que mieux.