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dialogues philosophiques

Lucrèce, au livre IV. Vous la trouvez dans le premier livre des Métamorphoses d’Ovide. Héraclite, longtemps auparavant, avait dit que ce monde-ci serait consumé par le feu. Les stoïciens avaient adopté cette rêverie. Les demi-juifs demi-chrétiens, qui fabriquèrent les Évangiles, ne manquèrent pas d’adopter un dogme si reçu, et de s’en prévaloir. Mais, comme le monde subsista encore longtemps, et que Jésus ne vint point dans les nuées avec une grande puissance et une grande majesté au premier siècle de l’Église, ils dirent que ce serait pour le second siècle ; ils le promirent ensuite pour le troisième ; et de siècle en siècle cette extravagance s’est renouvelée. Les théologiens ont fait comme un charlatan que j’ai vu au bout du pont Neuf sur le quai de l’École ; il montrait au peuple, vers le soir, un coq et quelques bouteilles de baume : « Messieurs, disait-il, je vais couper la tête à mon coq, et je le ressusciterai le moment d’après en votre présence ; mais il faut auparavant que vous achetiez mes bouteilles. » Il se trouvait toujours des gens assez simples pour en acheter. « Je vais donc couper la tête à mon coq, continuait le charlatan ; mais comme il est tard, et que cette opération est digne du grand jour, ce sera pour demain. »

Deux membres de l’Académie des sciences eurent la curiosité et la constance de revenir pour voir comment le charlatan se tirerait d’affaire ; la farce dura huit jours de suite ; mais la farce de l’attente de la fin du monde, dans le christianisme, a duré huit