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dialogues philosophiques

monceaux affreux d’ossements que j’ai vus sur ma route en venant vous consulter ?

— Je n’ai vu qu’avec horreur ceux qui se sont rendus coupables de tous ces meurtres.

— Et ces monuments de puissance et de richesse, d’orgueil et d’avarice, ces trésors, ces ornements, ces signes de grandeur que j’ai vus accumulés sur la route en cherchant la sagesse, viennent-ils de vous ?

— Cela est impossible ; j’ai vécu, moi et les miens, dans la pauvreté et dans la bassesse : ma grandeur n’était que dans la vertu. »

J’étais près de le supplier de vouloir bien me dire au juste qui il était. Mon guide m’avertit de n’en rien faire. Il me dit que je n’étais pas fait pour comprendre ces mystères sublimes. Je le conjurai seulement de m’apprendre en quoi consistait la vraie religion.

« Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? Aimez Dieu et votre prochain comme vous-même.

— Quoi ! en aimant Dieu on pourrait manger gras le vendredi ?

— J’ai toujours mangé ce qu’on m’a donné ; car j’étais trop pauvre pour donner à dîner à personne.

— En aimant Dieu, en étant juste, ne pourrait-on pas être assez prudent pour ne point confier toutes les aventures de sa vie à un inconnu ?

— C’est ainsi que j’en ai toujours usé.

— Ne pourrai-je, en faisant du bien, me dispenser