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dialogues philosophiques

— Tu le sauras, pauvre créature humaine, me répliqua le génie des intermondes ; mais auparavant il faut que tu pleures. »

Il commença par le premier amas.

« Ceux-ci, dit-il, sont les vingt-trois mille Juifs qui dansèrent devant un veau, avec les vingt-quatre mille qui furent tués sur des filles madianites. Le nombre des massacrés pour des délits ou des méprises pareilles se monte à près de trois cent mille.

« Aux allées suivantes sont les charniers des chrétiens égorgés les uns par les autres pour des disputes métaphysiques. Ils sont divisés en plusieurs monceaux de quatre siècles chacun. Un seul aurait monté jusqu’au ciel ; il a fallu les partager.

— Quoi ! m’écriai-je, des frères ont traité ainsi leurs frères, et j’ai le malheur d’être dans cette confrérie !

— Voici, dit l’esprit, les douze millions d’Américains tués dans leur patrie, parce qu’ils n’avaient pas été baptisés.

— Eh, mon Dieu ! que ne laissiez-vous ces ossements affreux se dessécher dans l’hémisphère où leurs corps naquirent, et où ils furent livrés à tant de trépas différents ? Pourquoi réunir ici tous ces monuments abominables de la barbarie et du fanatisme ?

— Pour t’instruire.

— Puisque tu veux m’instruire, dis-je au génie, apprends-moi s’il y a eu d’autres peuples que les chrétiens et les Juifs à qui le zèle et la religion, mal-