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dialogues philosophiques

malheur de brûler mon prochain à celui d’être cuit moi-même.


BOLDMIND. — Quelle horrible alternative ! vous étiez cent fois plus heureux sous le joug des Maures, qui vous laissaient croupir librement dans toutes vos superstitions, et qui, tout vainqueurs qu’ils étaient, ne s’arrogeaient pas le droit inouï de tenir les âmes dans les fers.


MÉDROSO. — Que voulez-vous ! il ne nous est permis ni d’écrire, ni de parler, ni même de penser. Si nous parlons, il est aisé d’interpréter nos paroles, encore plus nos écrits. Enfin, comme on ne peut nous condamner dans un auto-da-fé pour nos pensées secrètes, on nous menace d’être brûlés éternellement par l’ordre de Dieu même, si nous ne pensons pas comme les jacobins. Ils ont persuadé au gouvernement que si nous avions le sens commun, tout l’État serait en combustion, et que la nation deviendrait la plus malheureuse de la terre.


BOLDMIND. — Trouvez-vous que nous soyons si malheureux, nous autres Anglais qui couvrons les mers de vaisseaux, et qui venons gagner pour vous des batailles au bout de l’Europe ? Voyez-vous que les Hollandais, qui vous ont ravi presque toutes vos découvertes dans l’Inde, et qui aujourd’hui sont au rang de vos protecteurs, soient maudits de Dieu pour avoir donné une entière liberté à la presse,