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dialogues philosophiques

l’accomplissement dans les querelles qui ont divisé les chrétiens dès les premiers temps, dans les guerres civiles qui leur ont mis les armes à la main pendant tant de siècles, dans les assassinats de tant de princes, dans les horribles malheurs de tant de familles.

J’avoue encore que des mouvements d’indignation et de pitié se sont élevés dans mon cœur, quand j’ai vu Pierre faire apporter à ses pieds l’argent de ses sectateurs. Ananie et Saphire ont gardé quelque chose pour eux du prix de leur champ ; ils ne l’ont pas dit ; et Pierre les punit en faisant mourir subitement le mari et la femme. Hélas ! ce n’était pas là le miracle que j’attendais de ceux qui disent qu’ils ne veulent pas la mort du pécheur, mais sa conversion. J’ai osé penser que si Dieu faisait des miracles, ce serait pour guérir les hommes, et non pour les tuer ; ce serait pour les corriger, et non pour les perdre ; qu’il est un Dieu de miséricorde, et non un tyran homicide. Ce qui m’a le plus révolté dans cette histoire, c’est que Pierre, ayant fait mourir Ananie, et voyant venir Saphire sa femme, ne l’avertit pas, ne lui dit pas : « Gardez-vous de réserver pour vous quelques oboles ; si vous en avez, avouez tout, donnez tout, craignez le sort de votre mari ; » au contraire, il la fait tomber dans le piège ; il semble qu’il se réjouisse de frapper une seconde victime. Je vous avoue que cette aventure m’a toujours fait dresser les cheveux, et que je ne me suis consolé que quand j’en ai vu l’impossibilité et le ridicule.

Puisque vous me permettez de vous expliquer mes