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dialogues philosophiques

avez eu ici des disputes scandaleuses avec des gens de votre propre secte ; vous vous anathématisiez les uns les autres : ne sentez-vous pas l’énorme ridicule d’une troupe d’Européens qui venaient nous enseigner un système dans lequel ils n’étaient pas d’accord entre eux ? Ne voyez-vous pas que vous êtes les enfants perdus de puissances qui voudraient s’étendre dans tout l’univers ? Quel fanatisme, quelle fureur vous fait passer les mers pour venir aux extrémités de l’Orient nous étourdir par vos disputes, et fatiguer nos tribunaux de vos querelles ! Vous nous apportez votre pain et votre vin, et vous dites qu’il n’est permis qu’à vous de boire du vin ; assurément cela n’est pas honnête et civil. Vous nous dites que nous serons damnés si nous ne mangeons de votre pain ; et puis, quand quelques-uns de nous ont eu la politesse d’en manger, vous leur dites que ce n’est pas du pain, que ce sont des membres d’un corps humain et du sang, et qu’ils seront damnés s’ils croient avoir mangé du pain que vous leur avez offert. Les lettrés chinois ont-ils pu penser autre chose de vous, sinon que vous étiez des fous qui aviez rompu vos chaînes, et qui couriez par le monde comme des échappés ? Du moins les Européens d’Angleterre, de Hollande, de Danemark et de Suède ne nous disent pas que du pain n’est pas du pain, et que du vin n’est pas du vin ; ne soyez pas surpris s’ils ont paru à la Chine et dans l’Inde plus raisonnables que vous. Cependant nous ne leur permettons pas de prêcher à