LE MANDARIN. — Il vous sera difficile de remplir
cet engagement.
LE JÉSUITE. — Rien n’est plus aisé. Toutes les
vertus sont des vices quand on n’a pas la foi : or
vous n’avez pas la foi ; donc, malgré vos vertus que
j’honore, vous êtes tous des coquins, théologiquement
parlant.
LE MANDARIN. — Honnêtement parlant, votre
P. Lecomte, votre P. Ricci, et plusieurs autres,
n’ont-ils pas dit, n’ont-ils pas imprimé en Europe
que nous étions, il y a quatre mille ans, le peuple le
plus juste de la terre, et que nous adorions le vrai
Dieu dans le plus ancien temple de l’univers ? Vous
n’existiez pas alors ; nous n’avons jamais changé.
Comment pouvons-nous avoir eu raison il y a quatre
mille ans, et avoir tort à présent ?
LE JÉSUITE. — Je vais vous le dire : notre doctrine
est incontestablement la meilleure : or, les
Chinois ne reconnaissent pas notre doctrine ; donc
ils ont évidemment tort.
LE MANDARIN. — On ne peut mieux raisonner ;
mais nous avons à Kanton des Anglais, des Hollandais,
des Danois qui pensent tout différemment de
vous, qui vous ont chassés de leur pays, parce qu’ils
trouvaient votre doctrine abominable, et qui disent
que vous êtes des corrupteurs : vous-mêmes vous