Page:Voltaire - Traité sur la tolérance 1763.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
Traité ſur la Tolérance. Chap. IX.

grand St. Bernard ; il eſt impoſſible qu’on l’eût appellée d’Aſie pour venir appaiſer une ſédition dans les Gaules, un an après que cette ſédition avait été réprimée : il n’eſt pas moins impoſſible qu’on ait égorgé ſix mille hommes d’Infanterie, & ſept cents Cavaliers, dans un paſſage où deux cents hommes pourraient arrêter une Armée entière. La relation de cette prétendue boucherie commence par une impoſture évidente : Quand la terre gémiſſait ſous la tyrannie de Dioclétien, le Ciel ſe peuplait de Martyrs. Or cette aventure, comme on l’a dit, eſt ſuppoſée en 286, temps où Dioclétien favoriſait le plus les Chrétiens, & où l’Empire Romain fut le plus heureux. Enfin ce qui devrait épargner toutes ces diſcuſſions, c’eſt qu’il eut jamais de Légion Thébaine : les Romains étaient trop fiers & trop ſenſés pour compoſer une Légion de ces Égyptiens qui ne ſervaient à Rome que d’eſclaves, Verna Canopi : c’eſt comme s’ils avaient eu une Légion Juive. Nous avons les noms des trente-deux Légions qui faiſaient les principales forces de l’Empire Romain ; aſſurément la Légion Thébaine ne s’y trouve pas. Rangeons donc ce conte avec les vers acroſtiches des ſibylles qui prédiſaient les miracles de Jesus-Christ, & avec tant de pièces ſuppoſées, qu’un faux zèle prodigua pour abuſer la crédulité.

E iv