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Traité ſur la Tolérance. Chap. IX.

tiens qu’il avait en ſa garde, il eſt naturel que le Préfet & l’Empereur ſoient irrités ; ils ne ſavaient pas que St. Laurent avait diſtribué cet argent aux pauvres, & qu’il avait fait une œuvre charitable & ſainte, ils le regardèrent comme un réfractaire, & le firent périr.[1]

Conſidérons le martyre de St. Polyeucte. Le condamna-t-on pour ſa Religion ſeule ? Il va dans le Temple, où l’on rend aux Dieux des actions de grâces pour la victoire de l’Empereur Decius ; il y inſulte les Sacrificateurs, il renverſe & briſe les Autels & les Statues : quel eſt le Pays au monde où l’on pardon-

  1. Nous reſpectons aſſurément tout ce que l’Égliſe rend reſpectable ; nous invoquons les Sts. Martyrs ; mais en révérant St. Laurent, ne peut-on pas douter que St. Sixte lui ait dit : Vous me ſuivrez, dans trois jours ; que dans ce court intervalle le Préfet de Rome lui ait fait demander l’argent des Chrétiens ; que le Diacre Laurent ait eu le temps de faire aſſembler tous les pauvres de la Ville, qu’il ait marché devant le Préfet pour le mener à l’endroit où étaient ces pauvres, qu’on lui ait fait ſon procès, qu’il ait ſubi la queſtion, que le Préfet ait commandé à un Forgeron un gril aſſez grand pour y rôtir un homme, que le premier Magiſtrat de Rome ait aſſiſté lui-même à cet étrange ſupplice ; que St. Laurent ſur ce gril, ait dit : « Je ſuis aſſez cuit d’un côté, fais-moi retourner de l’autre, ſi tu veux me manger ? » Ce gril n’eſt guères dans le génie des Romains ; & comment ſe peut-il faire qu’aucun Auteur Païen n’ait parlé d’aucune de ces aventures ?