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Traité ſur la Tolérance. Chap. I.

furent obligés de ſe récuſer l’un & l’autre ; ils ſe retirèrent à la campagne.

Mais, par un malheur étrange, le Juge favorable aux Calas eut la délicateſſe de perſiſter dans ſa récuſation, & l’autre revint donner ſa voix contre ceux qu’il ne devait point juger : ce fut cette voix qui forma la condamnation à la roue ; car il y eut huit voix contre cinq, un des ſix Juges oppoſés ayant à la fin, après bien des conteſtations, paſſé au parti le plus ſévère.

Il ſemble que quand il s’agit d’un parricide, & de livrer un Père de famille au plus affreux ſupplice, le jugement devrait être unanime, parce que les preuves d’un crime ſi inoui[1] devraient être d’une évidence ſenſible à tout le monde : le moindre doute,

  1. Je ne connais que deux exemples de Pères accuſés dans l’Hiſtoire d’avoir aſſaſſiné leurs fils pour la Religion : le premier eſt du père de ſainte Barbara, que nous nommons Ste. Barbe. Il avait commandé deux fenêtres dans ſa ſalle de bains : Barbe, en ſon abſence, en fit une troiſième en l’honneur de la ſainte Trinité ; elle fit du bout du doigt le ſigne de la croix ſur des colonnes de marbre, & ce ſigne ſe grava profondément dans les colonnes. Son père en colère courut après elle l’épée à la main, mais elle s’enfuit à travers une montagne, qui s’ouvrit pour elle. Le père fit le tour de la montagne, & ratrappa ſa fille ; on la fouetta toute nue, mais Dieu la couvrit d’un nuage blanc ; enfin ſon père lui trancha la tête. Voilà ce que rapporte la Fleur des Saints.

    Le ſecond exemple eſt du Prince Hermenegilde. Il ſe ré-