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Traité ſur la Tolérance. Chap. I.

blit : mais ſi un Père de famille innocent eſt livré aux mains de l’erreur, ou de la paſſion, ou du fanatiſme ; ſi l’accuſé n’a de défenſe que ſa vertu, ſi les arbitres de ſa vie n’ont à riſquer en l’égorgeant que de ſe tromper, s’ils peuvent tuer impunément par un arrêt ; alors le cri public s’élève, chacun craint pour ſoi-même ; on voit que perſonne n’eſt en ſûreté de ſa vie devant un Tribunal érigé pour veiller ſur la vie des Citoyens, & toutes les voix ſe réuniſſent pour demander vengeance.

Il s’agiſſait, dans cette étrange affaire, de Religion, de ſuicide, de parricide : il s’agiſſait de ſavoir ſi un père & une mère avaient étranglé leur fils pour plaire à Dieu, ſi un frère avait étranglé ſon frère, ſi un ami avait étranglé ſon ami, & ſi les Juges avaient à ſe reprocher d’avoir fait mourir ſur la roue un père innocent, ou d’avoir épargné une mère, un frère, un ami coupables.

Jean Calas, âgé de ſoixante & huit ans, exerçait la profeſſion de Négociant à Toulouſe depuis plus de quarante années, & était reconnu de tous ceux qui ont vécu avec lui pour un bon père. Il était Proteſtant, ainſi que ſa femme & tous ſes enfants, excepté un qui avait abjuré l’héréſie, & à qui le père faiſait une petite penſion. Il paraiſſait ſi éloigné de cet abſurde fanatiſme qui rompt tous les liens de la