Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 2.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
Des Loix. Sect. II.

mit un joug, & nous fit marcher à coups d’aiguillons ; nous avons depuis été changés en hommes, mais les cornes nous sont restées, & nous en frappons quiconque veut nous faire labourer pour lui, & non pas pour nous.

Plein de toutes ces réflexions, je me complaisais à penser qu’il y a une loi naturelle indépendante de toutes les conventions humaines : le fruit de mon travail doit être à moi ; je dois honorer mon père & ma mère ; je n’ai nul droit sur la vie de mon prochain, & mon prochain n’en a point sur la mienne, &c. Mais quand je songeai que depuis Cordolaomor jusqu’à Mentzel, Colonel de Houzards, chacun tue loyalement & pille son prochain avec une patente dans sa poche, je fus très affligé.

On me dit que parmi les voleurs il y avait des loix, & qu’il y en avait aussi à la guerre. Je demandai ce que c’était que ces loix de la guerre ? C’est, me dit-on, de pendre un brave Officier qui aura tenu dans un mauvais poste sans canon contre une armée royale ; c’est de faire pendre un prisonnier, si on a pendu un des vôtres ; c’est de mettre à feu & à sang les villages qui n’auront pas apporté toute leur subsistance au jour marqué, selon les ordres du gracieux souverain du voisinage. Bon, dis-je, voilà l’Esprit des loix.

Après avoir été bien instruit, je découvris qu’il y a de sages loix par lesquelles un berger est condamné à neuf ans de galères pour avoir donné un peu de sel étranger à ses moutons. Mon voisin a été ruiné par un procès pour deux