Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 2.djvu/199

Cette page a été validée par deux contributeurs.
189
Torture.

aux Sénateurs Romains, ordonnèrent non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main & qu’on brûlât son corps à petit feu, mais ils l’appliquèrent encor à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chanté, & combien de processions il avait vû passer le chapeau sur la tête.

Ce n’est pas dans le treizième ou dans le quatorzième siècle que cette avanture est arrivée, c’est dans le dix-huitième. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d’opéra qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d’opéra qui ont de la grace, par Mademoiselle Clairon qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu’il n’y a point au fond de nation plus cruelle que la Française.

Les Russes passaient pour des barbares en 1700, nous ne sommes qu’en 1769 ; une impératrice vient de donner à ce vaste État des loix qui auraient fait honneur à Minos, à Numa & à Solon, s’ils avaient eu assez d’esprit pour les inventer. La plus remarquable est la tolérance universelle, la seconde est l’abolition de la torture. La justice & l’humanité ont conduit sa plume ; elle a tout réformé. Malheur à une nation qui étant depuis longtems civilisée est encor conduite par d’anciens usages atroces ! Pourquoi changerions-nous notre jurisprudence ? dit-elle ; l’Europe se sert de nos cuisiniers, de nos tailleurs, de nos perruquiers, donc nos loix sont bonnes.