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Tolérance. Sect. II.

pris sa naissance au milieu des divisions des Juifs, des Samaritains, des Pharisiens, des Saducéens, des Esséniens, des Judaïtes, des Disciples de Jean, des Thérapeutes. Elle a été divisée dans son berceau, elle l’a été dans les persécutions mêmes qu’elle essuya quelquefois sous les premiers Empereurs. Souvent le martyr était regardé comme un apostat par ses frères, & le Chrétien Carpocratien expirait sous le glaive des bourreaux Romains excommunié par le Chrétien Ébionite, lequel Ébionite était anathématisé par le Sabellier.

Cette horrible discorde qui dure depuis tant de siècles est une leçon bien frappante que nous devons mutuellement nous pardonner nos erreurs, la discorde est le grand mal du genre humain, & la tolérance en est le seul remède.

Il n’y a personne qui ne convienne de cette vérité, soit qu’il médite de sang-froid dans son cabinet, soit qu’il examine paisiblement la vérité avec ses amis. Pourquoi donc les mêmes hommes qui admettent en particulier l’indulgence, la bienfaisance, la justice, s’élèvent-ils en public avec tant de fureur contre ces vertus ? pourquoi ? c’est que leur intérêt est leur Dieu, c’est qu’ils sacrifient tout à ce monstre qu’ils adorent.

Je possède une dignité & une puissance que l’ignorance & la crédulité ont fondée ; je marche sur les têtes des hommes prosternés à mes pieds : s’ils se relèvent & me regardent en face, je suis perdu, il faut donc les tenir attachés à la terre avec des chaînes de fer.

Ainsi ont raisonné des hommes que des siècles