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Sensation.

ses branches, subsiste encor quand la plante n’est plus. Vous allez sans doute demander, comment la sensation des animaux périssant avec eux, la pensée de l’homme ne périra pas ? je ne peux répondre à cette question, je n’en sais pas assez pour la résoudre. L’auteur éternel de la sensation & de la pensée sait seul comment il la donne, & comment il la conserve.

Toute l’antiquité a maintenu, que rien n’est dans notre entendement qui n’ait été dans nos sens. Descartes dans ses romans prétendit que nous avions des idées métaphysiques avant de connaître le téton de notre nourrice ; une faculté de Théologie proscrivit ce dogme, non parce que c’était une erreur, mais parce que c’était une nouveauté : ensuite elle adopta cette erreur parce qu’elle était détruite par Locke philosophe anglais, & qu’il fallait bien qu’un Anglais eût tort. Enfin après avoir changé si souvent d’avis, elle est revenue à proscrire cette ancienne vérité, que les sens sont les portes de l’entendement ; elle a fait comme les gouvernements obérés, qui tantôt donnent cours à certains billets, & tantôt les décrient ; mais depuis longtems personne ne veut des billets de cette faculté.

Toutes les facultés du monde n’empêcheront jamais les philosophes de voir que nous commençons par sentir, & que notre mémoire n’est qu’une sensation continuée. Un homme qui naîtrait privé de ses cinq sens, serait privé de toute idée, s’il pouvait vivre. Les notions métaphysiques ne viennent que par les