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Salomon.

C’est ainsi que parle un sujet ou un esclave, que la colère de son maître fait trembler. Salomon aurait-il tant parlé de la femme impudique ? Aurait-il dit, ne regardez point le vin quand il paraît clair, & que sa couleur brille dans le verre ?

Je doute fort qu’on ait eu des verres à boire du tems de Salomon ; c’est une invention fort récente ; toute l’antiquité buvait dans des tasses de bois ou de métal ; & ce seul passage indique que cette rhapsodie juive fut composée dans Alexandrie, ainsi que tant d’autres livres juifs.[1]

L’Ecclésiaste, que l’on met sur le compte de Salomon, est d’un ordre & d’un goût tout différent. Celui qui parle dans cet ouvrage est un homme détrompé des illusions de la grandeur, lassé de plaisirs, & dégoûté de la science. C’est un philosophe Épicurien, qui répète à chaque page que le juste & l’impie sont sujets aux mêmes accidens, que l’homme n’a rien de plus que la bête, qu’il vaut mieux n’être pas né que d’exister, qu’il n’y a point d’autre vie, & qu’il n’y a rien de bon & de raisonnable que de jouïr en paix du fruit de ses travaux avec la femme qu’on aime.

Tout l’ouvrage est d’un matérialiste qui est à la fois sensuel & dégoûté. Il semble seulement

  1. Un pédant a cru trouver une erreur dans ce passage : il a prétendu qu’on a mal traduit par le mot de verre le gobelet qui était, dit-il, de bois ou de métal ; mais comment le vin aurait-il brillé dans un gobelet de métal ou de bois ? & puis qu’importe !