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Religion. II. Quest.

tiens appelèrent leur dieu Knef, les Syriens Adoni, les peuples voisins Baal, ou Bel, ou Melch, ou Moloc, les Scythes Papée ; tous mots qui signifient Seigneur, Maître.

C’est ainsi qu’on trouva presque toute l’Amérique partagée en une multitude de petites peuplades, qui toutes avaient leur Dieu protecteur. Les Mexicains même, ni les Péruviens qui étaient de grandes nations, n’avaient qu’un seul Dieu. L’une adorait Mango Kapak, l’autre le Dieu de la guerre. Les Mexicains donnaient à leur Dieu guerrier le nom de Viliputsi, comme les Hébreux avaient appelé leur Seigneur Sabaoth.

Ce n’est point par une raison supérieure & cultivée que tous les peuples ont ainsi commencé à reconnaître une seule divinité ; s’ils avaient été philosophes, ils auraient adoré le Dieu de toute la nature, & non pas le Dieu d’un village ; ils auraient examiné ces rapports infinis de tous les êtres, qui prouvent un Être créateur & conservateur ; mais ils n’examinèrent rien, ils sentirent. C’est là le progrès de notre faible entendement ; chaque bourgade sentait sa faiblesse, & le besoin qu’elle avait d’un fort protecteur. Elle imaginait cet être tutélaire & terrible résidant dans la forêt voisine, ou sur la montagne, ou dans une nuée. Elle n’en imaginait qu’un seul, parce que la bourgade n’avait qu’un chef à la guerre. Elle l’imaginait corporel, parce qu’il était impossible de se le représenter autrement. Elle ne pouvait croire que la bourgade voisine n’eût pas aussi