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Préjugés.

Sentiment n’est pas simple préjugé ; c’est quelque chose de bien plus fort. Une mère n’aime pas son fils, parce qu’on lui dit qu’il le faut aimer ; elle le chérit heureusement malgré elle. Ce n’est point par préjugé que vous courez au secours d’un enfant inconnu prêt à tomber dans un précipice, ou à être dévoré par une bête.

Mais c’est par préjugé que vous respecterez un homme revêtu de certains habits, marchant gravement, parlant de même. Vos parents vous ont dit que vous deviez vous incliner devant cet homme, vous le respectez avant de savoir s’il mérite vos respects : vous croissez en âge & en connaissances ; vous vous apercevez que cet homme est un charlatan pétri d’orgueil, d’intérêt, & d’artifice ; vous méprisez ce que vous révériez, & le préjugé cède au jugement. Vous avez cru par préjugé les fables dont on a bercé votre enfance ; on vous a dit, que les Titans firent la guerre aux Dieux, & que Vénus fut amoureuse d’Adonis ; vous prenez à douze ans ces fables pour des vérités ; vous les regardez à vingt ans comme des allégories ingénieuses.

Examinons en peu de mots les différentes sortes de préjugés, afin de mettre de l’ordre dans nos affaires. Nous serons peut-être comme ceux qui du tems du systême de Lass s’aperçurent qu’ils avaient calculé des richesses imaginaires.

Préjugés de sens

N’est-ce pas une chose plaisante que nos