Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 2.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
Pierre.

Casaubon ne pouvait approuver la manière dont Pierre traita le bon homme Anania & Saphira sa femme. De quel droit, disait Casaubon, un Juif esclave des Romains ordonnait-il, ou souffrait-il que tous ceux qui croiraient en Jésus vendissent leurs héritages & en apportassent le prix à ses pieds ? Si quelque Anabaptiste à Londres faisait apporter à ses pieds tout l’argent de ses frères, ne serait-il pas arrêté comme un séducteur séditieux, comme un larron qu’on ne manquerait pas d’envoyer à Tyburn ? N’est-il pas horrible de faire mourir Anania, parce qu’ayant vendu son fonds & en ayant donné l’argent à Pierre, il avait retenu pour lui & pour sa femme quelques écus pour subvenir à leurs nécessités sans le dire ? À peine Anania est-il mort, que sa femme arrive. Pierre au lieu de l’avertir charitablement qu’il vient de faire mourir son mari d’apoplexie, pour avoir gardé quelques oboles, & de lui dire de bien prendre garde à elle, la fait tomber dans le piège. Il lui demande si son mari a donné tout son argent aux saints. La bonne femme répond, oui, & elle meurt sur-le-champ. Cela est dur.

Corringius demande, pourquoi Pierre qui tuait ainsi ceux qui lui avaient fait l’aumône, n’allait pas tuer plutôt tous les docteurs qui avaient fait mourir Jésus-Christ, & qui le firent fouetter lui-même plus d’une fois ? Ô Pierre ! vous faites mourir deux chrétiens qui vous ont fait l’aumône, & vous laissez vivre ceux qui ont crucifié votre Dieu !