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Grace.

autrefois en quelque crédit, vous m’avouerez qu’ils seraient un peu étonnés de vos décisions sur la grace. Que diraient-ils, s’ils entendaient parler de la grace de santé selon St. Thomas, & de la grace médicinale selon Cajetan ; de la grace extérieure, & intérieure, de la gratuite, de la sanctifiante, de l’actuelle, de l’habituelle, de la coopérante, de l’efficace qui quelquefois est sans effet, de la suffisante qui quelquefois ne suffit pas, de la versatile, & de la congrue ? en bonne foi, y comprendraient-ils plus que vous & moi ?

Quel besoin auraient ces pauvres gens, de vos sublimes instructions ? Il me semble que je les entends dire ;

Mes Révérends Pères, vous êtes de terribles génies : nous pensions sottement que l’Être éternel ne se conduit jamais par des loix particulières comme les vils humains, mais par ses loix générales, éternelles comme lui. Personne n’a jamais imaginé parmi nous, que Dieu fût semblable à un maître insensé qui donne un pécule à un esclave, & refuse la nourriture à l’autre ; qui ordonne à un manchot de pétrir de la farine, à un muet de lui faire la lecture, à un cu-de jatte d’être son courrier.

Tout est grace de la part de Dieu ; il a fait au globe que nous habitons la grace de le former ; aux arbres, la grace de les faire croître ; aux animaux celle de les nourrir ; mais dira-t-on que si un loup trouve dans son chemin un agneau pour son souper, & qu’un autre loup meure de faim, Dieu a fait à ce premier loup une