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Genèse.

il est très vraisemblable que les Juifs entendaient les anges Éloïm, & qu’ainsi ce livre ne fut écrit que quand ils adoptèrent la créance de ces Dieux inférieurs.

Le Seigneur le mit hors du jardin de volupté, afin qu’il cultivât la terre.

Mais le Seigneur l’avait mis dans le jardin de volupté afin qu’il cultivât ce jardin. Si Adam de jardinier devint laboureur, il faut avouer qu’en cela son état n’empira pas beaucoup. Un bon laboureur vaut bien un bon jardinier.

Toute cette histoire en général se rapporte à l’idée qu’eurent tous les hommes, & qu’ils ont encor, que les premiers tems valaient mieux que les nouveaux. On a toûjours plaint le présent, & vanté le passé. Les hommes surchargés de travaux ont placé le bonheur dans l’oisiveté, ne songeant pas que le pire des états est celui d’un homme qui n’a rien à faire. On se vit souvent malheureux, & on se forgea l’idée d’un tems où tout le monde avait été heureux : c’est à peu près comme si on disait, il fut un tems où il ne périssait aucun arbre, où nulle bête n’était ni malade, ni faible, ni dévorée par une autre. De là l’idée du siècle d’or, de l’œuf percé par Arimane, du serpent qui déroba à l’âne la recette de la vie heureuse & immortelle que l’homme avait mise sur son bât, de là ce combat de Typhon contre Osiris, d’Ophionée contre les dieux, & cette fameuse boëte de Pandore, & tous ces vieux contes dont quelques-uns sont amusants, & dont aucun n’est instructif.