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Fausseté des vertus humaines.

renvoyant à la charité chrétienne. Ainsi selon le Sieur Esprit, ni Caton, ni Aristide, ni Marc-Aurèle, ni Épictète, n’étaient des gens de bien : mais on n’en peut trouver que chez les Chrétiens. Parmi les Chrétiens il n’y a de vertu que chez les Catholiques ; parmi les Catholiques, il fallait encor en excepter les Jésuites, ennemis des oratoriens ; partant la vertu ne se trouvait guère que chez les ennemis des jésuites.

Ce Mr. Esprit commence par dire, que la prudence n’est pas une vertu ; & sa raison est qu’elle est souvent trompée. C’est comme si on disait que César n’était pas un grand capitaine, parce qu’il fut battu à Dirrachium.

Si Mr. Esprit avait été philosophe, il n’aurait pas examiné la prudence comme une vertu, mais comme un talent, comme une qualité utile, heureuse ; car un scélérat peut être très prudent, & j’en ai connu de cette espèce. Ô la rage de prétendre que

Nul n’aura de vertu que nous & nos amis !

Qu’est-ce que la vertu, mon ami ? C’est de faire du bien. Fai-nous-en, & cela suffit. Alors nous te ferons grace du motif. Quoi ! selon toi, il n’y aura nulle différence entre le président de Thou, & Ravaillac ? entre Cicéron & ce Popilius auquel il avait sauvé la vie, & qui lui coupa la tête pour de l’argent ? & tu déclareras Épictète & Porphyre des coquins, pour n’avoir pas suivi nos dogmes ? Une telle insolence révolte. Je n’en dirai pas davantage, car je me mettrais en colère.