Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
Esprit faux.

coq pour un cheval, ni un pot de chambre pour une maison. Pourquoi rencontre-t-on souvent des esprits assez justes d’ailleurs, qui sont absolument faux sur des choses importantes ? Pourquoi ce même Siamois qui ne se laissera jamais tromper quand il sera question de lui compter trois roupies, croit-il fermement aux métamorphoses de Sammonocodom ? Par quelle étrange bizarrerie des hommes sensés ressemblent-ils à Don Quichote, qui croyait voir des géants où les autres hommes ne voyaient que des moulins à vent ? Encore Don Quichote était plus excusable que le Siamois qui croit que Sammonocodom est venu plusieurs fois sur la terre, & que le Turc qui est persuadé que Mahomet a mis la moitié de la lune dans sa manche. Car Don Quichote frappé de l’idée qu’il doit combattre des géants, peut se figurer qu’un géant doit avoir le corps aussi gros qu’un moulin, & les bras aussi longs que les ailes du moulin : mais de quelle supposition peut partir un homme sensé pour se persuader que la moitié de la lune est entrée dans une manche, & qu’un Sammonocodom est descendu du ciel pour venir jouer au cerf-volant à Siam, couper une forêt, & faire des tours de passe-passe ?

Les plus grands génies peuvent avoir l’esprit faux sur un principe qu’ils ont reçu sans examen. Newton avait l’esprit très faux quand il commentait l’Apocalypse.

Tout ce que certains tyrans des ames désirent, c’est que les hommes qu’ils enseignent, aient l’esprit faux. Un faquir élève un en-