Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/270

Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
Entousiasme.

privé de sa raison ; l’entousiasme est précisément comme le vin. Il peut exciter tant de tumulte dans les vaisseaux sanguins, & de si violentes vibrations dans les nerfs, que la raison en est tout à fait détruite. Il peut ne causer que de légères secousses qui ne fassent que donner au cerveau un peu plus d’activité. C’est ce qui arrive dans les grands mouvemens d’éloquence, & surtout dans la poësie sublime. L’entousiasme raisonnable est le partage des grands poëtes.

Cet entousiasme raisonnable est la perfection de leur art, c’est ce qui fit croire autrefois qu’ils étaient inspirés des dieux, & c’est ce qu’on n’a jamais dit des autres artistes.

Comment le raisonnement peut-il gouverner l’entousiasme ? c’est qu’un poëte dessine d’abord l’ordonnance de son tableau. La raison alors tient le crayon, mais veut-il animer ses personnages & leur donner le caractère des passions ? alors l’imagination s’échauffe, l’entousiasme agit. C’est un coursier qui s’emporte dans sa carrière, mais la carrière est régulièrement tracée.


ESPRIT FAUX.



Nous avons des aveugles, des borgnes, des bigles, des louches, des vuës longues, des vuës courtes, ou distinctes, ou confuses, ou faibles, ou infatigables. Tout cela est une image assez fidelle de notre entendement. Mais on ne connaît guère de vuë fausse. Il n’y a guère d’hommes qui prenne toûjours un