Page:Voltaire - La Raison par alphabet, 6e édition, Cramer, 1769, tome 1.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
Corps.

truit l’étenduë, il conclut que la solidité qui y est attachée tombe d’elle-même ; & qu’ainsi il n’y a rien au monde que nos idées. De sorte que, selon ce docteur, dix mille hommes tués par dix mille coups de canon, ne sont dans le fond que dix mille appréhensions de notre âme.

Il ne tenait qu’à M. l’Évêque de Cloine de ne point tomber dans l’excès de ce ridicule ; il croit montrer qu’il n’y a point d’étenduë, parce qu’un corps lui a paru avec sa lunette quatre fois plus gros qu’il ne l’était à ses yeux, & quatre fois plus petit à l’aide d’un autre verre. De là il conclut qu’un corps ne pouvant à la fois avoir quatre pieds, seize pieds, & un seul pied d’étendue, cette étenduë n’existe pas ; donc il n’y a rien ; il n’avait qu’à prendre une mesure, & dire, De quelque étenduë qu’un corps me paraisse, il est étendu de tant de ces mesures.

Il lui était bien aisé de voir qu’il n’en est pas de l’étenduë & de la solidité comme des sons, des couleurs, des saveurs, des odeurs, &c. Il est clair que ce sont en nous des sentimens excités par la configuration des parties ; mais l’étenduë n’est point un sentiment. Que ce bois allumé s’éteigne, je n’ai plus chaud ; que cet air ne soit plus frappé, je n’entends plus ; que cette rose se fane, je n’ai plus d’odorat pour elle ; mais ce bois, cet air, cette rose, sont étendus sans moi. Le paradoxe de Berklay ne vaut pas la peine d’être réfuté.

Il est bon de savoir ce qui l’avait entraîné