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De la Chine.

main se multiplie, & qu’il diminue très souvent, au lieu d’augmenter.

Laissons donc, nous qui sommes d’hier, nous descendans des Celtes, qui venons de défricher les forêts de nos contrées sauvages, laissons les Chinois & les Indiens jouïr en paix de leur beau climat, & de leur antiquité. Cessons surtout d’appeler idolâtres l’Empereur de la Chine, & le Soubab de Dékan ; il ne faut pas être fanatique du mérite chinois ; la constitution de leur Empire est à la vérité la meilleure qui soit au monde, la seule qui soit toute fondée sur le pouvoir paternel (ce qui n’empêche pas que les mandarins ne donnent force coups de bâtons à leurs enfans) ; la seule dans laquelle un gouverneur de province soit puni, quand en sortant de charge il n’a pas eu les acclamations du peuple ; la seule qui ait institué des prix pour la vertu, tandis que partout ailleurs les loix se bornent à punir le crime ; la seule qui ait fait adopter ses loix à ses vainqueurs, tandis que nous sommes encor sujets aux coutumes des Burgundiens, des Francs & des Goths qui nous ont domptés. Mais on doit avoüer que le petit peuple gouverné par des bonzes, est aussi fripon que le nôtre, qu’on y vend tout fort cher aux étrangers, ainsi que chez nous ; que dans les sciences, les Chinois sont encor au terme où nous étions il y a deux cents ans ; qu’ils ont comme nous mille préjugés ridicules, qu’ils croient aux talismans, à l’astrologie judiciaire, comme nous y avons cru longtems.