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Chaîne des événemens.

CHAÎNE DES ÉVÉNEMENS.



Il y a longtems qu’on a prétendu que tous les événements sont enchaînés les uns aux autres, par une fatalité invincible ; c’est le destin qui, dans Homère, est supérieur à Jupiter même. Ce maître des dieux & des hommes, déclare net, qu’il ne peut empêcher Sarpédon son fils de mourir dans le tems marqué. Sarpédon était né dans le moment qu’il fallait qu’il naquît, & ne pouvait pas naître dans un autre ; il ne pouvait mourir ailleurs que devant Troye ; il ne pouvait être enterré ailleurs qu’en Lycie ; son corps devait dans le tems marqué produire des légumes qui devaient se changer dans la substance de quelques Lyciens ; ses héritiers devaient établir un nouvel ordre dans ses États ; ce nouvel ordre devait influer sur les royaumes voisins ; il en résultait un nouvel arrangement de guerre & de paix avec les voisins des voisins de la Lycie : ainsi de proche en proche la destinée de toute la terre a dépendu de la mort de Sarpédon, laquelle dépendait d’un autre événement, lequel était lié par d’autres à l’origine des choses.

Si un seul de ces faits avait été arrangé différemment, il en aurait résulté un autre univers : or il n’était pas possible que l’univers actuel n’existât pas, donc il n’était pas possible à Jupiter de sauver la vie à son fils, tout Jupiter qu’il était.