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Citoyens doivent être également libres. Chacun s’habille, ſe nourrit, ſe loge comme il peut. Si vous défendez au riche de manger des gélinotes, vous volez le pauvre qui entretiendroit ſa famille du prix du gibier qu’il vendroit au riche. Si vous ne voulez pas que le riche orne ſa maiſon vous ruinerez cent artiſtes. Le Citoyen qui par ſon faſte humilie le pauvre, enrichit le pauvre par ce même faſte, beaucoup plus qu’il ne l’humilie. L’indigence doit travailler pour l’opulence, afin de s’égaler un jour à elle.

peuples de la Grece gouvernés par eux-mêmes en avoient adopté de ſemblables ; la dépenſe des feſtins étoit réglée chez les Romains : ces ſortes de loix ſont le fruit d’une prévoyance ſage, & d’une profonde politique. La prodigalité du luxe annonce toujours la décadence d’un Etat. Une ancienne expérience ne montre que trop la vérité de cette maxime. Le luxe introduit dans les cœurs l’amour des délices, il énerve les forces d’un Etat, il lui ôte ſa vigueur, il amene l’oiſiveté, & il rend les hommes méconnoiſſables. Les mœurs Romaines perdirent plus par le commerce avec les Aſiatiques que la République n’avoit gagné par ſes victoires. Bien plus puiſſant que les armes dont Rome avoit triomphé le luxe n’y entra que pour lui ôter la liberté & l’Empire : ſœvior armis luxuria incubuit, victumque ulciſcitur orbem. (Horace.)