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ne produit plus que quelques fruits dégénérés, mais ils sont toujours de même nature ; il se couvre de nœuds & de mousse, il devient vermoulu, mais il est toujours chêne ou poirier. Si on pouvait changer son caractère, on s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose ? ne recevons-nous pas tout ? Essayez d’animer l’indolent d’une activité suivie, de glacer par l’apatie, l’ame bouillante de l’impétueux, d’inspirer du gout pour la musique & pour la poësie à celui qui manque de gout & d’oreilles ; vous n’y parviendrez pas plus que si vous entrepreniez de donner la vüe à un aveugle né. Nous perfectionnons, nous adoucissons, nous cachons ce que la nature a mis dans nous, mais nous n’y mettons rien.

On dit à un cultivateur, Vous avez trop de poissons dans ce vivier, ils ne prospéreront pas ; voilà trop de bestiaux dans vos prés, l’herbe manque, ils maigriront. Il arrive après cette exhortation que les brochets mangent la moitié des carpes de mon homme, & les loups la moitié de ses moutons, le reste engraisse. S’applaudira-t-il de son économie ? Ce campagnard, c’est toi-même ; une de tes passions a dévoré les autres, & tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans, qui ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre avec des filles, leur dit tout en colère, Messieurs, est-ce là l’exemple que je vous donne ?