Page:Voltaire - Dictionnaire philosophique portatif, 6e édition, tome 1.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le plus grand bien est celui qui vous délecte avec tant de force, qu’il vous met dans l’impuissance totale de sentir autre chose ; comme le plus grand mal est celui qui va jusqu’à nous priver de tout sentiment. Voilà les deux extrêmes de la nature humaine, & ces deux moments sont courts.

Il n’y a ni extrêmes délices, ni extrêmes tourments qui puissent durer toute la vie : le souverain bien & le souverain mal sont des chimères.

Nous avons la belle fable de Crantor ; il fait comparaître aux jeux Olimpiques la richesse, la volupté, la santé, la vertu ; chacune demande la pomme : la richesse dit, C’est moi qui suis le souverain bien, car avec moi on achète tous les biens : la volupté dit, La pomme m’apartient, car on ne demande la richesse que pour m’avoir : la santé assure que sans elle il n’y a point de volupté, & que la richesse est inutile : enfin la vertu représente qu’elle est au-dessus des trois autres, parce qu’avec de l’or, des plaisirs & de la santé, on peut se rendre très-misérable si on se conduit mal. La vertu eut la pomme.

La fable est très ingénieuse, mais elle ne résout point la question absurde du souverain bien. La vertu n’est pas un bien, c’est un devoir, elle est d’un genre différent, d’un ordre supérieur ; elle n’a rien à voir aux sensations douloureuses, ou agréables. L’homme vertueux avec la pierre & la goutte, sans appui, sans amis, privé du nécessaire, persécuté, enchaîné