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spirituelles est spirituelle, & la mémoire des corporelles est corporelle ; que l’ame raisonnable est une forme immatérielle quant aux opérations, & matérielle quant à l’être. St. Thomas a écrit deux mille pages de cette force & de cette clarté ; aussi est-il l’ange de l’école.

On n’a pas fait moins de systêmes sur la manière dont cette ame sentira quand elle aura quitté son corps avec lequel elle sentait, comment elle entendra sans oreilles, flairera sans nez, & touchera sans mains ; quel corps ensuite elle reprendra, si c’est celui qu’elle avait à deux ans, ou à quatre-vingts ; comment le moi, l’identité de la même personne subsistera, comment l’ame d’un homme devenu imbécille à l’âge de quinze ans, & mort imbécille à l’âge de soixante & dix, reprendra le fil des idées qu’elle avait dans son âge de puberté ; par quel tour d’adresse une ame dont la jambe aura été coupée en Europe, & qui aura perdu un bras en Amérique, retrouvera cette jambe & ce bras, lesquels ayant été transformés en légumes, auront passé dans le sang de quelqu’autre animal. On ne finirait point si on voulait rendre compte de toutes les extravagances que cette pauvre ame humaine a imaginées sur elle-même.

Ce qui est très-singulier, c’est que dans les loix du peuple de Dieu, il n’est pas dit un mot de la spiritualité & de l’immortalité de l’ame, rien dans le Décalogue, rien dans le Lévitique ni dans le Deutéronome.