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conçois bien à toute force que si mon fou voit du rouge, & les sages du bleu ; si quand les sages entendent de la musique, mon fou entend le braiment d’un âne ; si quand ils sont au sermon, mon fou croit être à la comédie ; si quand ils entendent oui, il entend non ; alors son ame doit penser au rebours des autres. Mais mon fou a les mêmes perceptions qu’eux ; il n’y a nulle raison apparente pour laquelle son ame ayant reçu par ses sens tous ses outils, ne peut en faire d’usage. Elle est pure, dit-on, elle n’est sujette par elle-même à aucune infirmité ; la voilà pourvue de tous les secours nécessaires : quelque chose qui se passe dans son corps, rien ne peut changer son essence : cependant on la mène dans son étui aux Petites-Maisons.

Cette réflexion peut faire soupçonner que la faculté de penser donnée de Dieu à l’homme, est sujette au dérangement comme les autres sens. Un fou est un malade dont le cerveau pâtit, comme le goutteux est un malade qui souffre aux pieds & aux mains ; il pensait par le cerveau, comme il marchait avec les pieds, sans rien connaître ni de son pouvoir incompréhensible de marcher, ni de son pouvoir non moins incompréhensible de penser. On a la goutte au cerveau comme aux pieds. Enfin après mille raisonnements, il n’y a peut-être que la foi seule qui puisse nous convaincre qu’une substance simple & immatérielle puisse être malade.

Les doctes ou les docteurs diront au fou ; Mon ami, quoique tu aies perdu le sens commun,