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ABRAHAM. 5


Caldée de plus de cent lieues : il faut passer des déserts pour y arriver : mais Dieu voulait qu’il fît ce voyage ; il voulait lui montrer la terre que devaient occuper ses descendants plusieurs siècles après lui. L’esprit humain comprend avec peine les raisons d’un tel voyage.

À peine est-il arrivé dans le petit pays montagneux de Sichem, que la famine l’en fait sortir. Il va en Égypte avec sa femme chercher de quoi vivre. Il y a deux cents lieues de Sichem à Memphis ; est-il naturel qu’on aille demander du blé si loin & dans un pays dont on n’entend point la langue ? voilà d’étranges voyages entrepris à l’âge de près de cent quarante années.

Il amène à Memphis sa femme Sara, qui était extrêmement jeune & presque enfant en comparaison de lui, car elle n’avait que soixante-cinq ans. Comme elle était très-belle, il résolut de tirer parti de sa beauté ; Feignez que vous êtes ma sœur, lui dit-il, afin qu’on me fasse du bien à cause de vous. Il devait bien plutôt lui dire, Feignez que vous êtes ma fille. Le Roi devint amoureux de la jeune Sara, & donna au prétendu frère beaucoup de brebis, de bœufs, d’ânes, d’ânesses, de chameaux, de serviteurs, de servantes : ce qui prouve que l’Égypte dès lors était un royaume très-puissant & très-policé, par-conséquent très-ancien, & qu’on récompensait magnifiquement les frères qui venaient offrir leurs sœurs aux rois de Memphis.

La jeune Sara avait quatre-vingt-dix ans quand


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