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état où l’on n’est ni endormi ni éveillé, des étincelles sortent de ses yeux, il voit Brama resplendissant de lumière, il a des extases, & cette maladie devient souvent incurable.

La chose la plus rare est de joindre la raison avec l’enthousiasme, la raison consiste à voir toujours les choses comme elles sont. Celui qui dans l’ivresse voit les objets doubles est alors privé de sa raison ; l’enthousiasme est précisément comme le vin. Il peut exciter tant de tumulte dans les vaisseaux sanguins, & de si violentes vibrations dans les nerfs, que la raison en est tout à fait détruite. Il peut ne causer que de légères secousses qui ne fassent que donner au cerveau un peu plus d’activité. C’est ce qui arrive dans les grands mouvements d’éloquence, & surtout dans la poésie sublime. L’enthousiasme raisonnable est le partage des grands poëtes.

Cet enthousiasme raisonnable est la perfection de leur art, c’est ce qui fit croire autrefois qu’ils étaient inspirés des dieux, & c’est ce qu’on n’a jamais dit des autres artistes.

Comment le raisonnement peut-il gouverner l’enthousiasme ? c’est qu’un poëte dessine d’abord l’ordonnance de son tableau. La raison alors tient le crayon, mais veut-il animer ses personnages & leur donner le caractère des passions ? alors l’imagination s’échauffe, l’enthousiasme agit. C’est un coursier qui s’emporte dans sa carrière, mais la carrière est régulièrement tracée.