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« Il ne fallait pas, dit alors mon judicieux amateur de lettres, il ne fallait pas sans doute donner de si détestables ouvrages pour modèles à celui qu’on critiquait avec tant d’amertume ; il eût mieux valu laisser jouir en paix son adversaire de son mérite, & conserver celui qu’on avait ; mais que voulez-vous ? le genus irritabile vatum, est malade de la même bile qui le tourmentait autrefois. Le public pardonne ces pauvretés aux gens à talent, parce que le public ne songe qu’à s’amuser ; il voit dans une allégorie intitulée Pluton, des juges condamnés à être écorchés, & à s’asseoir aux enfers, sur un siège couvert de leur peau, au lieu de fleurs de lys ; le lecteur ne s’embarrasse pas si ces juges le méritent, ou non ; si le complaignant qui les cite devant Pluton a tort ou raison. Il dit ces vers uniquement pour son plaisir ; s’ils lui en donnent, il n’en veut pas davantage ; s’ils lui déplaisent, il laisse là l’allégorie, & ne ferait pas un seul pas pour faire confirmer ou casser la sentence.

« Les inimitables tragédies de Racine ont toutes été critiquées, & très-mal ; c’est qu’elles l’étaient par des rivaux. Les artistes sont les juges compétents de l’art, il est vrai, mais ces juges compétents sont presque toujours corrompus.

« Un excellent critique serait un artiste qui aurait beaucoup de science & de goût, sans préjugés & sans envie. Cela est difficile à trouver. »