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donnez si libéralement à notre corps ? d’où viendrait-elle ? quand viendrait-elle ? faudrait-il que le créateur de l’univers fût continuellement à l’affût de l’accouplement des hommes & des femmes, qu’il remarquât attentivement le moment où un germe sort du corps d’un homme, & entre dans le corps d’une femme, & qu’alors il envoyât vite une ame dans ce germe ? & si ce germe meurt, que deviendra cette ame ? elle aura donc été créée inutilement, ou elle attendra une autre occasion.

Voilà, je vous l’avoue, une étrange occupation pour le maître du monde ; & non seulement, il faut qu’il prenne garde continuellement à la copulation de l’espèce humaine, mais il faut qu’il en fasse autant avec tous les animaux, car ils ont tous comme nous de la mémoire, des idées, des passions ; & si une ame est nécessaire pour former ces sentiments, cette mémoire, ces idées, ces passions, il faut que Dieu travaille perpétuellement à forger des ames pour les éléphants, & pour les porcs, pour les hiboux, pour les poissons, & pour les bonzes.

Quelle idée me donneriez-vous de l’architecte de tant de millions de mondes, qui serait obligé de faire continuellement des chevilles invisibles pour perpétuer son ouvrage ?

Voilà une très-petite partie des raisons qui peuvent me faire douter de l’existence de l’ame.