Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée

On m’a conté, ma belle Konismare[1],
Que Charles douze, en son humeur bizarre,
Vainqueur des rois et vainqueur de l’amour,
N’osa t’admettre à sa brutale cour :
Charles craignit de te rendre les armes ;
Il se sentit, il évita tes charmes.
Mais tenir Jeanne et ne point y toucher,
Se mettre à table, avoir faim sans manger,
Cette victoire était cent fois plus belle.
Dunois ressemble à Robert d’Arbrisselle[2],
A ce grand saint qui se plus à coucher
Entre les bras de deux nonnes fessues,
A caresser quatre cuisses dodues,
Quatre tetons, et le tout sans pécher.



Au point du jour apparut à leur vue
Un beau palais d’une vaste étendue :
De marbre blanc était bâti le mur ;
Une dorique et longue colonnade
Porte un balcon formé de jaspe pur ;
De porcelaine était la balustrade.
Nos paladins, enchantés, éblouis,
Crurent entrer tout droit en paradis.
Le chien aboie : aussitôt vingt trompettes
Se font entendre, et quarante estafiers,
A pourpoints d’or, à brillantes braguettes,
Viennent s’offrir à nos deux chevaliers.
Très-galamment deux jeunes écuyers
Dans le palais par la main les conduisent ;
Dans des bains d’or filles les introduisent
Honnêtement ; puis lavés, essuyés,
D’un déjeuner amplement festoyés,
Dans de beaux lits brodés ils se couchèrent,

  1. Aurore Konismare, maîtresse du rni de Pologue Auguste 1er, et mère du célèbre comte de Saxe. (Note de Voltaire, 1773.) — Voltaire a, dans son Histoire
    de Charles XII, liv. II, donné, les plus grands éloges à la mère, du maréchal de Saxe. Il cite d’elle quelques vers français qui prouvent que son esprit égalait sa beauté. Sou nom est Koenigsmark. (R.)
  2. Robert d‘Arbrissel, fondateur du bel ordre de Fontevrauld : il convertit, en 1100, d'un coup de f‍ilet, par un seul sermon, toutes les filles de joie de la ville du Rouen. Il s‘imposa un nouveau genre de martyre : ce fut de coucher toutes les nuits entre deux jeunes religieuses pour tromper le diable, qui apparemment le lui rendit bien. Il n’aimait pas la loi salique, car il fit une femme abbé général des moines et moinesses de son ordre. (Note de Voltaire, 1773.)