Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/77

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle ouvre encor ses yeux, ces doux vainqueurs,
Mais ce n’est plus que pour verser des pleurs ;
Puis, sur Bonneau se penchant d’un air tendre :
" C’en est donc fait, dit-elle, on me trahit.
Où va-t-il donc ? que veut-il entreprendre ?
Était-ce là le serment qu’il me fit,
Lorsqu’à sa flamme il me fit condescendre ?
Toute la nuit il faudra donc m’étendre,
Sans mon amant, seule, au milieu d’un lit ?
Et cependant cette Jeanne hardie,
Non des Anglais, mais d’Agnès ennemie,
Va contre moi lui prévenir l’esprit.
Ciel ! que je hais ces créatures fière,
Soldats en jupe, hommasses chevalières[1],
Du sexe mâle affectant la valeur,
Sans posséder les agréments du nôtre,
A tous les deux prétendant faire honneur,
Et qui ne sont ni de l’un ni de l’autre ! "
Disant ces mots, elle pleure et rougit,
Frémit de rage, et de douleur gémit.
La jalousie en ses yeux étincelle ;
Puis, tout à coup, d’une ruse nouvelle
Le tendre Amour lui fournit le dessein.



Vers Orléans elle prend son chemin,
De dame Alix et de Bonneau suivie.
Agnès arrive en une hôtellerie,
Où dans l’instant, lasse de chevaucher,
La fière Jeanne avait été coucher.
Agnès attend qu’en ce logis tout dorme,
Et cependant subtilement s’informe
Où couche Jeanne, où l’on met son harnois ;
Puis dans la nuit se glisse en tapinois,
De Jean Chandos prend la culotte[2], et passe
Ses cuisses entre, et l’aiguillette lace ;
De l’amazone elle prend la cuirasse.
Le dur acier, forgé pour les combats,
Presse et meurtrit ses membres délicats.

  1. Il y a grande apparence que l'auteur a ici en vue les héroïnes dc l’Arioste et du Tasse. Elles devaient être un peu malpropres; mais les chevaliers n’y regardaient pas de si près. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Voyez chant II.