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Sur les confins de cet abîme immense,
Où le Chaos, et l’Érèbe, et la Nuit,
Avant le temps de l’univers produit,
Ont exercé leur aveugle puissance,
Il est un vaste et caverneux séjour,
Peu caressé des doux rayons du jour,
Et qui n’a rien qu’une lumière affreuse,
Froide, tremblante, incertaine, et trompeuse :
Pour toute étoile on a des feux follets ;
L’air est peuplé de petits farfadets.
De ce pays la reine est la Sottise.
Ce vieil enfant porte une barbe grise,
Œil de travers, et bouche à la Danchet[1].
Sa lourde main tient pour sceptre un hochet.
De l’Ignorance elle est, dit-on, la fille.
Près de son trône est sa sotte famille,
Le fol Orgueil, l’Opiniâtreté,
Et la Paresse, et la Crédulité.
Elle est servie, elle est flattée en reine ;
On la croirait en effet souveraine :
Mais ce n’est rien qu’un fantôme impuissant,
Un Chilpéric, un vrai roi fainéant.
La Fourberie est son ministre avide ;
Tout est réglé par ce maire perfide ;
Et la Sottise est son digne instrument.
Sa cour plénière est à son gré fournie
De gens profonds en fait d’astrologie,
Sûrs de leur art, à tout moment déçus,
Dupes, fripons, et partant toujours crus.
FaC’est là qu’on voit les maîtres d’alchimie
Faisant de l’or et n’ayant pas un sou,
Les roses-croix, et tout ce peuple fou

    établi ce paradis. Milton en parle ; il fait passer le diable par le paradis des sots, the paradise of fools. (Note de Voltaire, 1762.) — Paradise lost, III, 496.

  1. Ceci parait une allusion aux fameux couplets de Rousseau :

    Je le vois, innocent Danchet,
    Grands yeux ouverts, bouche béante.

    Une bouche à la Danchet était devenu une espèce de proverbe. Ce Danchet était un poëte médiocre qui a fait quelques pièces de théâtre, etc. (Note de Voltaire, 1762.) — Dans le Catalogue des écrivains français, placé en tête du Siècle de Louis XIV, Voltaire se montre moins sévère envers Danchet, et cite son prologue des Jeux séculaires, au devant d’Hésione, comme un très-bon ouvrage. (R.)