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Par un rival, objet de ses mépris ?
PaUn beau secret serait, à mon avis,
De bien savoir éblouir le vulgaire,
De s’établir un divin caractère ;
D’en imposer aux yeux des ennemis ;
Car les Romains, à qui tout fut soumis,
Domptaient l’Europe au milieu des miracles.
Le ciel pour eux prodigua les oracles.
Jupiter, Mars, Pollux, et tous les dieux,
Guidaient leur aigle et combattaient pour eux.
Le grand Bacchus qui mit l’Asie en cendre[1],
L’antique Hercule, et le fier Alexandre,
Pour mieux régner sur les peuples conquis,
De Jupiter ont passé pour les fils :
Et l’on voyait les princes de la terre
À leurs genoux redouter le tonnerre,
Tomber du trône, et leur offrir des vœux.
Il Denis suivit ces exemples fameux ;
Il prétendit que Jeanne la Pucelle
Chez les Anglais passât même pour telle ;
Et que Bedford, et l’amoureux Talbot,
Et Tirconel, et Chandos l’indévot,
Crussent la chose, et qu’ils vissent dans Jeanne
Un bras divin, fatal à tout profane.
Il Pour réussir en ce hardi dessein,
Il s’en va prendre un vieux bénédictin,
Non tel que ceux dont le travail immense
Vient d’enrichir les libraires de France[2] ;
Mais un prieur engraissé d’ignorance,
Et n’ayant lu que son missel latin :
Frère Lourdis fut le bon personnage
Qui fut choisi pour ce nouveau voyage.
QuDevers la lune, où l’on tient que jadis
Était placé des fous le paradis[3],

  1. Boileau (satire VIII, 100) avait dit :

    Qui ? cet écervelé qui mit l’Asie en cendre ?

  2. Voltaire veut sans doute parler de l’édition de la Gallia christiana, qui parut de 1715 à 1728. (G. A.)
  3. On appelait autrefois paradis des fous, paradis des sots, les limbes ; et on plaça dans ces limbes les âmes des imbéciles et des petits enfants morts sans baptême. Limbe signifie bord, bordure ; et c’était vers les bords de la lune qu’on avait