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Cent cris de joie à son discours répondent.
Dans cette foule il n’est point de guerrier
Qui ne voulût lui servir d’écuyer,
Porter sa lance et lui donner sa vie ;
Il n’en est point qui ne soit possédé
Et de la gloire, et de la noble envie
De lui ravir ce qu’elle a tant gardé.
Prêt à partir, chaque officier s’empresse :
L’un prend congé de sa vieille maîtresse ;
L’un, sans argent, va droit à l’usurier ;
L’autre à son hôte, et compte sans payer.
Denis a fait déployer l’oriflamme[1].
À cet aspect le roi Charles s’enflamme
D’un noble espoir à sa valeur égal.
Cet étendard aux ennemis fatal,
Cette héroïne, et cet âne aux deux ailes,
Tout lui promet des palmes immortelles.
OnDenis voulut, en partant de ces lieux,
Des deux amants épargner les adieux.
On eût versé des larmes trop amères,
On eût perdu des heures toujours chères.
Agnès dormait, quoiqu’il fût un peu tard :
Elle était loin de craindre un tel départ.
Un songe heureux, dont les erreurs la frappent,
Lui retraçait des plaisirs qui s’échappent.
Elle croyait tenir entre ses bras
Le cher amant dont elle est souveraine ;
Songe flatteur, tu trompais ses appas :
Son amant fuit, et saint Denis l’entraîne.
Tel dans Paris un médecin prudent
Force au régime un malade gourmand,
À l’appétit se montre inexorable,
Et sans pitié le fait sortir de table.
EtLe bon Denis eut à peine arraché
Le roi de France à son charmant péché,
Qu’il courut vite à son ouaille chère,
À sa pucelle, à sa fille guerrière.
Il a repris son air de bienheureux,
Son ton dévot, ses plats et courts cheveux,

  1. Étendard apporté par un ange dans l’abbaye de Saint-Denis, lequel était autrefois entre les mains des comtes du Vexin. (Note de Voltaire, 1762.)