LE CADENAS
Je triomphais ; l’Amour était le maître,
Et je touchais à ces moments trop courts
De mon bonheur, et du vôtre peut-être :
Mais un tyran veut troubler nos beaux jours.
C’est votre époux : geôlier sexagénaire,
Il a fermé le libre sanctuaire
De vos appas ; et, trompant nos désirs,
Il tient la clef du séjour des plaisirs.
Pour éclaircir ce douloureux mystère,
D’un peu plus haut reprenons cette affaire.
Vous connaissez la déesse Cérès :
Or en son temps Cérès eut une fille
Semblable à vous, à vos scrupules près,
Brune piquante, honneur de sa famille,
Tendre surtout, et menant à sa cour
L’aveugle enfant que l’on appelle Amour.
Un autre aveugle, hélas ! bien moins aimable,
Le triste Hymen, la traita comme vous.
Le vieux Pluton, riche autant qu’haïssable,
Dans les enfers fut son indigne époux.
Il était dieu, mais avare et jaloux :
Il fut cocu, car c’était la justice.
Pirithoüs, son fortuné rival,
Beau, jeune, adroit, complaisant, libéral,
Au dieu Pluton donna le bénéfice
- ↑ L’auteur avait environ vingt ans quand il fit cette pièce, adressée à une dame contre laquelle son mari avait pris cette étrange précaution ; elle fut imprimée en 1724 pour la première fois.