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Les grands surpris admirent sa hauteur,
Et les petits l’appellent monseigneur.
EtTelle plutôt cette heureuse grisette
Que la nature ainsi que l’art forma
Pour le b..... ou bien pour l’Opéra,
Qu’une maman avisée et discrète
Au noble lit d’un fermier éleva,
Et que l’Amour, d’une main plus adrète,
Sous un monarque entre deux draps plaça.
Sa vive allure est un vrai port de reine,
Ses yeux fripons s’arment de majesté,
Sa voix a pris le ton de souveraine,
Et sur son rang son esprit s’est monté[1].
EtOr, pour hâter leur auguste entreprise,
Jeanne et Denis s’en vont droit à l’église.
Lors apparut dessus le maître-autel
(Fille de Jean ! quelle fut ta surprise !)
Un beau harnois tout frais venu du ciel.
Des arsenaux du terrible empyrée,
En cet instant, par l’archange Michel
La noble armure avait été tirée.
On y voyait l’armet de Débora[2] ;
Ce clou pointu, funeste à Sisara ;
Le caillou rond dont un berger fidèle
De Goliath entama la cervelle ;
Cette mâchoire avec quoi combattit
Le fier Samson, qui ses cordes rompit

  1. C’est parce que je pense avec Laharpe que ces vers sont de Voltaire que je me suis décidé, contrairement à ce qui a été fait par les éditeurs qui m’ont précédé, à les rétablir dans le corps du poëme. On sent assez quelles convenances lui faisaient un devoir de retrancher ce portrait, qu’il avait tracé avant ses relations avec Mme  de Pompadour. Aucun motif, ce me semble, ne peut aujourd’hui justifier le renvoi dans les variantes d’un morceau si piquant. Laharpe, toutefois, conteste la ressemblance du portrait : « La favorite dont il est ici question, dit-il, n’eut jamais rien qui ressemblât à une reine, et garda toujours à la cour le maintien et le ton d’une petite bourgeoise, élevée à la grivoise, comme le disait fort bien le comte de Maurepas dans ses couplets si connus. » Voyez le Cours de littérature, liv. Ier, ch. ii, sect. i. (R.)
  2. Débora est la première femme guerrière dont il soit parlé dans le monde. Jahel, autre héroïne, enfonça un clou dans la tête du général Sisara : on conserve ce clou dans plusieurs couvents grecs et latins, avec la mâchoire d’âne dont se servit Samson, la fronde de David, et le couperet avec lequel la célèbre Judith coupa la tête du général Holopherne, ou Olphern, après avoir couché avec lui. (Note de Voltaire, 1762.)