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Chacun d’eux fuit, emportant dans le cœur
Avec la crainte un désir de malfaire.
Vous avez vu, sans doute, un commissaire
Cherchant de nuit un couvent de Vénus ;
Un jeune essaim de tendrons demi-nus
Saute du lit, s’esquive, se dérobe
Aux yeux hagards du noir pédant en robe :
Ainsi fuyaient mes paillards confondus.
TrDenis s’avance et réconforte Jeanne,
Tremblante encor de l’attentat profane ;
Puis il lui dit : « Vase d’élection[1],
Le Dieu des rois, par tes mains innocentes,
Veut des Français venger l’oppression,
Et renvoyer dans les champs d’Albion
Des fiers Anglais les cohortes sanglantes.
Dieu fait changer, d’un souffle tout-puissant,
Le roseau frêle en cèdre du Liban,
Sécher les mers, abaisser les collines,
Du monde entier réparer les ruines.
Devant tes pas la foudre grondera ;
Autour de toi la terreur volera,
Et tu verras l’ange de la victoire
Ouvrir pour toi les sentiers de la gloire.
Suis-moi, renonce à tes humbles travaux ;
Viens placer Jeanne au nombre des héros. »
TrÀ ce discours terrible et pathétique,
Très-consolant et très-théologique,
Jeanne étonnée, ouvrant un large bec,
Crut quelque temps que l’on lui parlait grec.
La grâce agit : cette augustine grâce
Dans son esprit porte un jour efficace.
Jeanne sentit dans le fond de son cœur
Tous les élans d’une sublime ardeur.
Non, ce n’est plus Jeanne la chambrière,
C’est un héros, c’est une âme guerrière.
Tel un bourgeois humble, simple, grossier,
Qu’un vieux richard a fait son héritier,
En un palais fait changer sa chaumière :
Son air honteux devient démarche fière :

  1. Saint Paul (Act. Apost., IX, 15) est désigné par la même qualification : vas electionis.