Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/534

Cette page n’a pas encore été corrigée

524 LA GUERRE CIVILE DE GENÈVE. [33]

Mais, ô prodige ! et qu'on ne croira pas, Tel est l'ennui dont la sage nature Dota Brognon, que sa seule figure Peut assoupir, et même sans prêcher, Tout citoyen qui l'oserait toucher ; Rien n'y résiste, homme, femme, ni fille. Maître Brognon ressemble à la torpille ; Elle engourdit les mains des matelots Qui de trop près la suivent sur les flots. Rodon s'endort, et Pallard le secoue ; Brognon gémit étendu dans la boue.

Tous les pasteurs étaient saisis d'effroi ; Ils criaient tous : « Au secours! à la loi ! A moi, chrétiens, femmes, filles, à moi ! » A leurs clameurs, une troupe dévote. Se rajustant, descend de son grenier. Et crie, et pleure, et se retrousse, et trotte, Et porte en main Saurin ^ et le psautier ; Et les enfants vont pleurant après elles. Et les amants donnant le bras aux belles; Diacre, maçon, corroyeur, pâtissier. D'un flot subit inondent le quartier. La presse augmente; on court, on prend les armes : Qui n'a rien vu donne le plus d'alarmes; Chacun pense être à ce jour si fatal Où l'ennemi, qui s'y prit assez mal. Au pied des murs vint planter ses échelles ", Pour tuer tout, excepté les pucelles.

Dans ce fracas, le sage et doux Dolot Fait un grand signe, et d'abord ne dit mot : Il est aimé des grands et du vulgaire ; Il est poète, il est apothicaire. Grand philosophe, et croit en Dieu pourtant; Simple en ses mœurs, il est toujours content. Pourvu qu'il rime, et pourvu qu'il remplisse De ses beaux vers le Mercure de Suisse, Dolot s'avance ; et dès qu'on s'aperçut

��1. Les sermons de Saurin, prédicant à la Haye, connu pour une petite espiè- glerie qu'il fit à milord Portland, en faveur d'une fille : ce qui déplut fort au Port- land, lequel ne passait cependant pas pour aimer les filles, {Note de Voltaire, 1708.)

2. L'escalade de Genève, le 12 décembre 1002. (M,, 1708.)

�� �