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Les monte à cru comme un soldat romain[1].
LeÔ profondeur, ô divine sagesse !
Que tu confonds l’orgueilleuse faiblesse
De tous ces grands si petits à tes yeux !
Que les petits sont grands quand tu le veux !
Ton serviteur Denis le bienheureux
N’alla rôder au palais des princesses,
N’alla chez vous, mesdames les duchesses ;
Denis courut, amis, qui le croirait ?
Chercher l’honneur, où ? dans un cabaret.
EnIl était temps que l’apôtre de France
Envers sa Jeanne usât de diligence.
Le bien public était en grand hasard.
De Satanas la malice est connue ;
Et si le saint fût arrivé plus tard
D’un seul moment, la France était perdue.
Un cordelier qu’on nommait Grisbourdon,
Avec Chandos arrivé d’Albion,
Était alors dans cette hôtellerie ;
Il aimait Jeanne autant que sa patrie.
C’était l’honneur de la pénaillerie ;
De tous côtés allant en mission ;
Prédicateur, confesseur, espion ;
De plus, grand clerc en la sorcellerie[2],
Savant dans l’art en Égypte sacré,
Dans ce grand art cultivé chez les mages,
Chez les Hébreux, chez les antiques sages,
De nos savants dans nos jours ignoré.
Jours malheureux ! tout est dégénéré.
JoEn feuilletant ses livres de cabale,
Il vit qu’aux siens Jeanne serait fatale,
Qu’elle portait dessous son court jupon
Tout le destin d’Angleterre et de France.
Encouragé par la noble assistance
De son génie, il jura son cordon,

  1. « Montait chevaux à poil et faisait apertises qu’autres filles n’ont point coutume de faire », comme dit la Chronique de Monstrelet. (Note de Voltaire, 1762.) — Voici le texte des Chroniques, liv. I, chap. lvii : « Et estoit hardie de chevaucher chevaux, et les mener boire, et aussi de faire apertises et autres habiletés que jeunes filles n’ont point accoutumé de faire. » (R.)
  2. La sorcellerie était alors si en vogue que Jeanne d’Arc elle-même fut brûlée depuis comme sorcière, sur la requête de la Sorbonne. (Note de Voltaire, 1762.)